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L’apport des scientifiques au Repérage : Ernest ESCLANGON (1876-1954)
 

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Extrait d’un article d’A.PERARD, Président d’Honneur des Officiers de Réserve du Repérage, Membre de l’Institut, paru dans les numéros 1 et 2 du bulletin « Les Sioux ».

Ernest ESCLANGON (1876-1954) [1]

Note du rédacteur : L’apport de ce scientifique au repérage par le son, durant la Première Guerre mondiale, est fondamental comme il est relaté ci-dessous. On ne manquera pas de consulter sa biographie en note de bas de page, assez étonnante, qui nous fait part de la grande ingéniosité de ce savant.

C’est Ernest ESCLANGON qui, dans une Note au Service Géographique du 22 septembre 1914, fut le premier à proposer le principe de repérage par le son, en mesurant les différences de temps qui s’écoulent entre les instants où le coup de départ d’un canon parvient en certains points topographiquement déterminés- Ces différences de temps, traduites en différences de distance par la vitesse connue du son, permettent la construction ou le calcul d’arcs d’hyperboles, dont le recoupement fixe la position du canon en action.

Pendant toute la guerre de 1914-1918, Esclangon a été chargé de mission au Polygone d’Artillerie Navale de Gâvres, tout spécialement pour étudier les phénomènes sonores qui accompagnent les tirs d’artillerie, en vue de l’application correcte de la méthode de repérage qu’il avait préconisée. L’onde balistique, que l’on appelait alors plutôt onde de Mach, était sans doute connue et les chefs de section qui partaient pour le front recevaient cette recommandation : « Méfiez-vous de l’onde de Mach pour les pièces dont la vitesse initiale est supérieure à la vitesse du son. Dites bien à vos opérateurs (car il s’agissait en général d’opérateurs humains) de toper le deuxième son et non le premier qu’ils entendront ».

Recommandation de marins, excellente pour des pièces de marine à vitesse initiale fortement supérieure à la vitesse du son ; mais recommandation tout à fait inopérante pour des projectiles animés d’une vitesse telle que, tout au long de leur trajectoire, leur avance sur l’arrivée du son n’était que de fort peu de secondes.

C’est à ESCLANGON que l’on doit d’avoir fait la nette discrimination dans la constitution des deux sons, pourtant si semblables à l’oreille, l’un, l’onde de bouche, à fréquence très basse et aux variations de pression sensibles, l’autre, l’onde balistique, à fréquence élevée, indécelable par la pression. D’où, pour l’enregistrement de l’onde de bouche, ces véritables manomètres, formés d’une capacité de gros volume, munie sur l’une des faces d’une paroi élastique, solidaire d’un microphone à grenaille particulièrement sensible.

Sur cette onde de bouche elle- même, ESCLANGON ne tarde pas à découvrir que sa cause résidait dans la ré inflammation des gaz au sortir du canon, ré inflammation qui, par ailleurs, était responsable des vives lueurs de départ si faciles à apercevoir par l’ennemi, en plein jour même, si le défilement de la pièce en action est faible et en tout cas de nuit quel que soit le défilement. Les produits chimiques anti lueurs utilisés aussitôt sur les conseils d’ESCLANGON avaient donc le double avantage de gêner le repérage de nos batteries aussi bien par les lueurs que par le son.

En liaison avec les émissions sonores, ESCLANGON étudia encore au Polygone le mouvement propre des projectiles sur leur trajectoire autour de leur centre de gravité. Cette étude le conduisit à proposer une forme spéciale de projectile, susceptible d’apporter aux tirs une précision deux fois plus élevée. Il fit aussi des recherches sur les zones de silence que l’on observe autour des explosions.

[1] Ernest Esclangon est né le 17 mars 1876, à Mison, petite commune voisine de Sisteron, dans le département des Basses-Alpes.

Il fit ses premières études au collège de Manosque, puis ses Mathématiques Spéciales au lycée de Nice, pour entrer, à l’âge de dix-neuf ans, à l’Ecole Normale Supérieure. Licencié ès sciences mathématiques et ès sciences physiques en 1897 à Paris, il fut reçu second à l’agrégation des sciences mathématiques en août 1898 et obtint son doctorat en 1904.

Ses travaux pour la Défense Nationale l’avaient fait si bien apprécier qu’en janvier 1918, il fut attaché au Cabinet du Ministre de la Marine pour les questions techniques et scientifiques concernant la défense sous-marine.

Aussitôt après 1a guerre, en 1919, il fut nommé Directeur de l’Observatoire de Strasbourg, en même temps que Professeur d’Astronomie à la Faculté. Les Allemands avaient laissé l’Observatoire dans le plus complet délabrement. Tout était à reprendre et à organiser, tant au point de vue des instruments que du personnel scientifique et ce fut l’une des belles œuvres d’Esclangon d’avoir pu si rapidement reconstituer et animer tout l’Institut.

Le lien indispensable à maintenir entre l’astronomie physique et l’astronomie de position devait réunir sous une même direction l’Observatoire de Meudon et l’Observatoire de Paris. Lorsqu’en 1929, Henri DESLANDRES prit sa retraite, la double direction fut confiée à ESCLANGON, qui y apporta 1es mêmes qualités tant scientifiques qu’administratives qui avaient si brillamment réussi dans la renaissance de l’Observatoire de Strasbourg.

Malgré les soucis et les multiples occupations de ces nouvelles directions, Esclangon n’abandonna nullement ses recherches et sa production scientifique ne se ralentit pas.

  • Dès 1908, il s’était intéressé au vol plané sans force motrice et il reprit cette étude en 1923. On sait que la question, restée constamment ouverte, a évolué en ce vol à la voile, dont la pratique est devenue si attrayante pour les sportifs.
  • Pour le grand public, Esclangon est avant tout le créateur de l’horloge parlante, qui prit la parole le 14 février 1933. Mais, tout en appréciant hautement les services que lui rendait cette horloge, au point que le numéro Odéon 84-00 rapportait des millions chaque année à l’Administration des Téléphones, le public n’avait aucune idée des grandes difficultés scientifiques et techniques que le savant dut surmonter pour arriver à fournir à chaque instant une heure exacte, d’abord au dixième, puis bientôt au centième de seconde.
  • Dans ses derniers temps encore, un certain nombre de travaux et de discussions peuvent être portés à son actif. C’est la question-de l’onde balistique qu’il reprend à propos des avions à vitesse supersonique. Il montre que l’étude de cette onde doit être facilitée avec les avions, n’étant pas, à la différence des canons, suivie d’une onde de bouche et il reconnaît que cette onde balistique d’avion peut bien ne plus être anodine comme celles des canons quant à ses effets matériels.

Esclangon jouissait d’une grande autorité scientifique dans le monde. En 1935, il fut élu pour trois ans Président de l’Union Astronomique Internationale et présida encore le Congrès de Stockholm en 1938.

L’Académie des Sciences lui avait décerné le Prix BINOUX en 1934, le Prix du Baron de JOEST en 1916 et le Grand Prix des Sciences Mathématiques en 1921. Elle l’accueillit dans sa Section d’Astronomie en 1929 et lui confia sa présidence en 1942.Il entra au Bureau des Longitudes en 1932 et en fut président de 1936-1937.

II était Commandeur de la Légion d’Honneur. Ernest Esclangon est mort à Eyrenville 1e 28 janvier 1954.


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