Histoire de l’Artillerie, subdivisions et composantes. > 2- Histoire des composantes de l’artillerie > L’artillerie du Repérage et de l’Acquisition : renseignement d’artillerie. > 0- Historique du Repérage > II- Le Repérage de 1940 à nos jours > 3- L’accès historique à la troisième dimension - Les drones > Les Drones >
B- Historique des drones
 

B. HISTORIQUE DES DRONES

Les raisons de la montée en puissance de ce système d’armes sont multiples et de différentes natures.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la menace d’un affrontement nucléaire est récurrente. Dans ce contexte, le renseignement doit avant tout être le plus continu et le plus complet possible. Jugeant que l’utilisation classique de l’avion d’observation - survol de la zone ennemie - est lourde de conséquences si celui-ci est détecté (cf. plus bas le cas Gary POWERS), les grandes puissances étudient l’emploi d’engins sans pilote, plus petits, plus discrets, et éliminant le risque de pertes humaines. En effet, l’avion présente certains inconvénients dans ce type de missions.

D’une part, il est difficile d’allier rapidité d’exécution et basse altitude ; en cas de perte, le coût humain, politique et financier est parfois très élevé, surtout en temps de paix ou en période de guerre froide.

D’autre part, en raison de sa nature même, l’avion est un vecteur qui implique une recherche du renseignement plus ponctuelle et plus discontinue. Enfin, le pilote-observateur est tributaire des contraintes météorologiques et de ses propres limites. La forme et la nature de la guerre ont également évolué : la guerre moderne implique, du fait de l’utilisation de l’arme nucléaire, une profondeur beaucoup plus vaste. Dispersion, mécanisation, mobilité et camouflage sont les premières règles à respecter. En outre, le perfectionnement des armes rend les soldats moins dépendants des conditions météorologiques et du facteur "nocturne" .

Par ailleurs, l’artillerie française veut s’affranchir de la tutelle de l’armée de l’air. Les opérations interarmes, pendant les années 50, ont relégué le repérage et l’acquisition d’objectifs aériens au rang de missions secondaires ; la transmission des données utiles à l’artilleur fait parfois les frais de l’absence de formation des aviateurs dans le domaine de l’artillerie. Ce contexte favorise la promotion des programmes de drones, d’ALT ou de « robots volants ».

Lorsque l’artillerie perd ses avions d’observation aérienne, à la fin de la guerre d’Algérie, elle développe ses propres moyens d’acquisition de renseignement dans la profondeur. A l’heure actuelle, les drones (ayant fait la preuve de leur rentabilité et de leur efficacité) bénéficient d’une priorité d’emploi de plus en plus élevée.

Pourtant, la naissance et l’exploitation de ces engins ne se sont pas faites sans heurts. Si les années 1960/1970 marquent indiscutablement l’essor des robots volants, il faut remonter en 1918 pour trouver les premières traces historiques de drones. Cette année là, les alliés expérimentent une torpille placée sur « un bâti équipé d’un moteur et d’une voilure biplan ». Ce missile parcourt une distance de 70 km en ligne droite, à une vitesse de 100km/h. La deuxième guerre mondiale offre un théâtre d’expérimentation beaucoup plus vaste qui permet de lancer les funestes VI et V2 mais aussi les bombes planantes, sorte de missiles de croisière, guidées par radio et larguées par les bombardiers allemands. Un épisode tragique de la Guerre Froide impose la nécessité de ces moyens d’investigation. Un avion-espion américain est abattu le 1er mai 1960, alors qu’il survole le territoire soviétique. L’URSS s’empresse alors de faire connaître au monde entier les agissements des États-Unis, en exhibant le pilote capturé (Gary POWERS). Rattrapant et dépassant rapidement les conséquences humaines et militaires, les retombées et l’exploitation politiques d’un tel événement atteignent une ampleur considérable.

Réagissant à cette humiliation politique et militaire, les États-Unis se lancent immédiatement dans l’exploitation des appareils sans pilote. En 1962, un avion sans pilote américain est abattu alors qu’il surveille à haute altitude les installations soviétiques à Cuba ; les restes d’un autre, le Model 147 (l’engin-cible Firebee modifié par la firme RYAN), sont retrouvés Chine en 1965. Plus d’une vingtaine de Model 147 effectuent, pendant la guerre du Vietman, plus de trois mille missions avec seulement un pourcentage de 10% de pertes [1], preuve que leur détection n’est pas très aisée. Ils ont pour mission de photographier les zones adverses avant et après l’attaque de l’aviation mais aussi de larguer des tracts (les « bullshit bombers »), de servir de relais de communication, d’avion-cible et bien sûr de missile. Leurs gros inconvénients sont l’impossibilité d’être lancés à plusieurs à la fois et le caractère aléatoire de leur vol. Les appareils américains suivants, le Chukar, le Compass Cope, combleront leurs lacunes : Les États-Unis arrêtent néanmoins les programmes de recherches dans les années 70, et concentrent leurs efforts sur le RPV d’observation et de désignation d’objectifs (AEQUARE). La France développe, dès 1962, le programme R20 dont il sera abondamment parlé dans les chapitres suivants.

Parallèlement aux Etats-Unis, Israël utilise des avions sans pilote depuis les années 60. Les premiers, d’origine américaine (Firebee, Northrop) jouent le rôle de leurres ou de cibles factices, censés attirer les radars ennemis et déclencher sur eux le tir des batteries sol-air. Les appareils du type Scout sont produits et utilisés dans un but de repérage. Les Scouts sont de véritables engins de reconnaissance tactiques, équipés de moyens électroniques et photographiques. Plusieurs séries de Scouts sont développées, auxquelles s’ajoutent des gammes moins connues, les Pionners et les Mastiff. Israël semble alors supplanter les autres puissances. L’expérience du terrain (l’invasion du Liban en 1982 par exemple) permet aux Israéliens d’adapter la recherche aux besoins militaires et de rendre efficace l’emploi des RPV par une utilisation fréquente.

 ?endant ce temps, les Etats-Unis se heurtent aux problèmes de coût et de fragilité, liés à la sophistication et au manque d’expérience dans le domaine de la recherche de nouveaux vecteurs non pilotés et dans celui de l’amélioration des anciens.

Les années 1980 vont marquer le développement de ces « robots volants » grâce à plusieurs conditions favorables.

  • leur réutilisation limite les coûts financiers. Les procédés de lancement (tirs successifs par groupe ou par batterie) et les systèmes de reconditionnement permettent, grâce à leur rapidité d’exécution, d’acquérir un renseignement presque continu,
  • l’évolution technologique des vecteurs : composition en fibre de verre du fuselage du Scout qui diminue considérablement l’empreinte radar, puissance des capteurs : caméra TV, caméra stéréoscopique, images IR (le Cyclope, en France, installé sur le R20 à titre expérimental), caméra thermique (Luther en France en 1967).

Toute une gamme de missions est alors possible et les vecteurs non pilotés se spécialisent : engin-cible, engin de reconnaissance, mini-engin tactique. Citons pour mémoire les CL 89, CL 289 mais aussi le CL 227 ou Peanut (drone de reconnaissance propulsé à l’aide d’un rotor), les Meteor US lancés d’un hélicoptère et ayant un rayon d’action de 250 km. Certains de ces engins sont purement tactiques : le Scout, les Lockheed et l’aquila américains qui règlent les tirs des missiles à l’aide d’un laser ou le Crécerelle français ; d’autres tel que le CL 89 ou le CL 289, bien qu’employés à des missions de repérage et d’acquisition d’objectifs, peuvent s’orienter vers des opérations de renseignement d’ordre plus général. La France et l’Allemagne tentent dans les années 70 de promouvoir le prototype Argus, à voile tournante mais le projet est abandonné en 1978 (faute de crédits ?). La France se concentre alors sur le Mart produit par la firme ALTEC.

La guerre du Golfe concrétise avec succès tous ces efforts : d’énormes moyens de reconnaissance, de nombreux systèmes de renseignement où d’acquisition d’objectifs sont lancés au cours de l’opération « Tempête du Désert ». Le Mart servi par le 8ème RA au sein de la division Daguet, effectue des missions d’acquisition d’objectifs pour l’artillerie, ce qui vaut l’attribution de la Croix de Guerre à la section. Les Pioneers israéliens, servis par les Américains, effectuent cinq cent cinquante deux missions de repérage des positions irakiennes. Tout un arsenal est testé : du satellite de surveillance au Pointer, drone de quatre kilogrammes, lancé à la main dont le rayon d’action ne dépasse pas quelques kilomètres. Les MIDGE (désignation Britannique du CL 89) participent à l’acquisition de renseignements et d’objectifs, en particulier au profit des LRM.

Les enseignements tirés de la guerre du Golfe marquent le besoin de l’Armée de Terre française de développer ses structures et ses moyens de renseignement militaire. Ce contexte va encore accentuer d’une manière générale le développement de l’utilisation de drones. Les crises, en particulier celle d’ex-Yougoslavie, accroîtront encore ce facteur. En effet, dans ces contextes particulièrement confus et délicats, la seule perte d’un homme par une puissance internationale sur le sol yougoslave peut prendre des proportions politiques démesurées et les besoins en renseignement sont plus importants que jamais. Au début de la crise yougoslave, la CIA américaine fait fermer la petite île croate de BRAC, paisible paradis touristique avant la guerre, pour l’utiliser comme base de lancement de ses drones GNAT 750 (précurseurs des PREDATOR gui seront par la suite lancés depuis le nord de l’Albanie). Les Américains acquièrent par ce biais des renseignements militaires d’une importance capitale, malgré la perte de plusieurs de ces engins. Par la suite, les drones seront également employés afin de contrôler le respect par les différentes factions des accords de Dayton. Le CL 289 fournira ainsi de précieux renseignements sur la situation militaire des ex-belligérants et permettra de confirmer au besoin par des images-preuves le respect ou le non-respect de ces accords.

Plus que jamais, le drone constitue le moyen essentiel et souvent unique pour le Chef militaire d’évaluer une situation.

INVENTAIRE DES MOYENS AÉRIENS DE REPÉRAGE ET DE RENSEIGNEMENT FRANÇAIS EN 1996

Le CL 289-PIVER :

Ce système est en dotation au 7e Régiment d’artillerie de NEVERS depuis 1992. Le Régiment, qui appartient à la Brigade de Renseignement et de Guerre Électronique, dispose ainsi d’un matériel d’acquisition d’objectifs et de surveillance du champ de bataille, complémentaire des radars RASIT du 6e Groupe de Phalsbourg.

CRECERELLE :

Conçu pour des missions de surveillance de zone (de 50 km2) et d’acquisition d’objectifs à courte portée (100 km), CRECERELLE est un système transitoire entre le démonstrateur MART (expérimenté par le 8e Régiment d’Artillerie pendant la guerre du Golfe puis appartenant au 6e Régiment d’artillerie jusqu’à sa dissolution en 1993) et le système BREVEL (en cours de développement dans le cadre d’un projet de coopération Franco-Allemand devant aboutir en 1998). Concentrés au sein d’un seul régiment d’acquisition et de renseignement, le 7e Régiment d’Arti11erie, le CL 289 et CRECERELLE sont complémentaires.

L’ALAT :

En plus de ces systèmes relevant de l’artillerie, l’ALAT dispose en propre de moyens utilisables au profit de l’artillerie et de sa composante renseignement. La cinquième partie du cours de service en campagne (édité par l’École d’Application de l’Artillerie en 1991), préconise la mise à la disposition des régiments d’artillerie des unités d’hélicoptères de l’ALAT pour le réglage des tirs dans la profondeur. Cette collaboration se concrétise par l’utilisation de l’hélicoptère Gazelle POD CL 289 en Bosnie. Piloté par des personnels de l’ALAT alors que le capteur CL 289 est préparé par le 7e RA, l’appareil peut couvrir une zone de plus de 100 km de profondeur. Le pilote a la faculté de sélectionner les zones qu’il juge intéressantes. La réussite de cette association ne remet pas en cause l’emploi du CL 289, réservé aux missions à risques, mais démontre la nécessité de la collaboration interarmes.

L’ARMEE DE L’AIR :

L’Armée de l’ Air remplit également des missions de reconnaissance, d’observation et d’acquisition d’objectifs par système vidéo depuis que la compatibilité entre le système PIVER et le Mirage F1CR, servi par les escadrons de reconnaissance 1/33 Belfort et 2/33 Savoie, est réalisable. Avec les Jaguars des escadrons de Toul et de Saint-Dizier, les Mirages F1CR participent en 1991 à l’opération Tempête du Désert en Irak. Le renseignement dans l’Armée de l’Air a toutefois un champ d’action plus vaste que la recherche des objectifs. De plus, la France, au début de l’année 1996, s’est dotée de cinq systèmes HUNTER d’origine Israélienne (Israël- Aircraft-lndustry). Commandés par la DRM, ces ALT, complémentaires du MART et de CRECERELLE mais ne se consacrant pas exclusivement à l’observation d’artillerie, seront employés à la reconnaissance du champ de bataille à courte portée (30 à 50 km de profondeur soit la zone de responsabilité de la division). Des officiers et des sous-officiers du 7e RA sont depuis l’été 1996, détachés au Centre d’ Expériences Aériennes Militaires de Mont de Marsan, au sein de l’équipe de marque HUNTER.

[1] Drones et RPV, Défense et Armement, n° 17, mars 1983


____________

Base documentaire des Artilleurs