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Général Michel Robert : de la Kabylie au Diamant
 

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Le général de division (2s) Michel Robert apporte le témoignage d’un officier d’essais, poste qu’il tenait lorsqu’il était capitaine. Vous pouvez aller consulter sa biographie en cliquant ici .

En 1959 de retour de la guerre d’Algérie, où j’avais commandé pendant trois ans une batterie de « fantassins » dans les montagnes de Kabylie, j’ai été affecté comme professeur d’électronique à l’école d’application de l’artillerie sol-air en raison de mes antécédents de radariste.

J’ai eu par la suite l’opportunité de suivre les cours de préparation à l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique (E.M.S.S.T). Ayant été retenu pour suivre cet enseignement j’ai alors entamé en 1961, une formation d’ingénieur dans différents établissements, l’Ecole nationale supérieure de l’Armement (ENSAR), le cours Supérieur Engins missiles (COSEM) dont partie de la scolarité se déroulait à l’Ecole nationale supérieure de l’Aéronautique (ENSAE) , j’ai terminé cette formation en présentant une maîtrise en sciences aéronautiques.

Ayant obtenu le Brevet technique de l’EMSST j’ai été affecté en 1964 au Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux ( C.I.E.E.S) de Colomb Béchar.

Dans ce centre, je fus affecté à la Sous Direction des Essais et plus particulièrement au bureau des essais dont les membres avaient pour mission de sélectionner et de coordonner les différents moyens de mesures qui étaient nécessaires à l’exécution des tirs de missiles des différents constructeurs.

Personnellement je devins "Officier d’essais" spécialisé pour les tirs de la Société d’Etudes et de Réalisation des Engins Balistiques, la SEREB. A ce titre j’ai participé pendant trois ans aux différents tirs du programme des Études Balistiques de Base, connues sous le nom de « programme des Pierres Précieuses ».

Ces essais furent nécessaires à la fois pour la réalisation des vecteurs de notre force nucléaire stratégique ainsi que pour la mise au point d’un lanceur de satellite.

En 1960, l’expérience française en matière de missiles balistique était très limitée, la SEREB dut acquérir les bases technologiques et expérimentales dans quatre domaines principaux :

  • la propulsion à propergol solide,
  • le pilotage, le guidage,
  • la rentrée dans l’atmosphère.

Ce fut l’époque du choix des techniques de base à développer dans ces différents domaines.

Pour acquérir ces compétences, la SEREB lança dès 1960 le programme des Études balistiques de base (EBB) ou programme des Pierres Précieuses. Ce fut tout un ensemble de développements qui eurent lieu dans les bureaux d’études, laboratoires et centres d’essais.

Pour tester les résultats de ces travaux en vraie grandeur, le programme EBB comportait toute une série d’essais en vol. Ceux ci furent effectués avec des fusées appelées véhicules d’essais, VE . Ces véhicules étaient baptisés de noms de pierres précieuses ; du plus simple au plus complexe : AGATE, TOPAZE EMERAUDE, RUBIS.

Ils apportèrent chacun leurs enseignements dont l’aboutissement fut d’une part l’engin de portée intermédiaire "SAPHIR" et d’autre part le lanceur de satellite "DIAMANT".

Le biétages Saphir fut le véhicule de synthèse qui permit les essais en vol en conditions réelles, pour les quatre domaines affectés aux EBB. Il avait une vitesse et une portée de l’ordre de grandeur de celles de la première génération des missiles balistiques dont la France allait se doter.

Les différents moyens, permettant de restituer les trajectographies des VE , d’assurer le recueil des paramètres de télémesure et de faire vivre les équipes d’essais, étaient mis en œuvre par des personnels militaires des armées de l’air et de terre.

Parmi ces derniers de nombreux artilleurs ont tenu des fonctions de responsabilités soit dans des postes très spécialisés, ( radar, moyens optiques, télémesures, télécommunications, .....) soit dans des fonctions de coordinations techniques.

Les "Officiers d’essais" avaient la charge d’organiser entièrement un type d’essai donné, depuis la phase préparatoire en métropole, jusqu’à la livraison après l’essai, des résultats aux constructeurs.

La qualité de ces résultats dépendait de celle des mesures et des enregistrements qui étaient réalisés pendant le déroulement du tir et par conséquent de l’aptitude professionnelle des personnels chargés de les exécuter.

La mission des Officiers d’essais était d’être de véritables "chefs d’orchestre" qui devaient mettre en œuvre au bon moment les différents moyens du champ de tir nécessaires à l’essai quels que soient les aléas de son déroulement.

Cela impliquait de leur part une parfaite connaissance :

  • du missile, afin de juger de l’importance des mesures à recueillir,
  • des caractéristiques de la trajectoire nominale,
  • des possibilités des moyens de mesure du champ de tir,
  • de leur disponibilité instantanée.

En 60 tirs de "Pierres précieuses" les servants du champ de tir et leurs Officiers d’essais auront contribué, à l’élaboration de notre force de dissuasion et à notre entrée dans le "club spatial".

Au demeurant les Officiers d’essais "spécialisé SEREB" étant tous Artilleurs, ils seront les premiers de cette arme à avoir effectué "des tirs de très longue portée " à des distances de 1600, 2000 et 2200 km. lors des essais des VE SAPHIR 231 G.

Il est sans doute inutile d’insister sur les responsabilités qui étaient mise en jeux à l’occasion de chacun de ces essais ; responsabilité de la SEREB qui recherchait à confirmer par le tir les solutions à des problèmes les plus divers , mais aussi responsabilité du champ de tir qui lui fournissait les mesures dont elle avait besoin à cet effet.

En dehors des responsabilités financières liées à chacun de ces tirs, il y avait les conséquences à caractère politique liées à tout échec ou retards dans les essais ; aussi quel que fut l’estime qui au court des temps avait pu s’établir entre les Responsables SEREB et leurs Officiers d’essais, des règles très strictes étaient observées dans leurs rapports de travail. Pour chaque essai il était établi une "convention d’essai" véritable contrat passé entre SEREB et CIEES où chacun convenait de ses responsabilités.

« L’ordre d’essai » utilisé pendant le tir et notamment la chronologie à respecter était élaboré en commun par le Chef de mission Constructeur et l’Officier d’essais.

En cours de tir les ordres passés étaient enregistrés en temps réel et tout particulièrement les "impasses "que l’on était dans l’obligation de faire dans le recueil des mesures ; de même une caméra filmait en temps réel l’état de préparation des moyens du champ de tir.

Les relations amicales d’avant et après tir n’avaient plus de mise au cours de la séquence de tir.

Dans un tel climat de chaud au froid et de froid au chaud, la solution qui avait été retenue par la Direction des essais du CIEES en spécialisant un officier d’essais sur un type de programme était la meilleure formule au plan humain dans des relations qui auraient pu être difficiles.

Mais avant d’être intégré dans une équipe de constructeur, l’officier d’essais, devait faire ses preuves dans sa capacité à comprendre le pourquoi et le comment de l’essai afin d’être à même de proposer les moyens de mesures les mieux adaptés au recueil des résultats. De même il devait avoir acquis la confiance des équipes de mesures du champ de tir par la connaissance qu’il avait de leurs moyens spécifiques afin qu’ils soient utilisés au meilleur escient.

Au total cette période fut sans doute une des plus enrichissante de ma vie d’Officier heureusement complétée par ma vie d’Ingénieur.

Voir cette vidéo de l’ECPA : cliquer ici


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